mardi 11 octobre 2016

LES CULTURES MINUSCULES

Le jour même de la manifestation de Mont de Marsan, Sud Ouest a publié un édito d'Yves HARTE qui explique parfaitement la lutte de tous ces gens du Sud Ouest pour défendre leurs acquis et traditions locales.
Bonne lecture.


On aurait tort de croire que le rassemblement annoncé aujourd’hui dans les Landes ne serait qu’un long défilé de vieux chasseurs. Dans cette manifestation, l’ortolan de toutes les vindictes ne sera finalement qu’un prétexte et l’infime catalyseur de ce que les campagnes, et pas seulement dans les Landes, contiennent de colères rentrées et de perpétuelles humiliations. Ce que l’on entend dans cet appel de Mont-de-Marsan vaut également pour les vallonnements de Saintonge, les bois et les forêts de Dordogne, les fermes reculées du Pays basque et les estives du Béarn. Il dit qu’un pays meurt. Et avec lui un paysage. Tout un paysage façonné, inventé par les hommes. Construit à leurs mesures et à leur vie, dans lequel grandissaient et se nourrissaient des valeurs communes qui n’étaient que des cultures minuscules. Or ce sont ces cultures-là que l’on entend voir disparaître car elles ne seraient plus conformes avec le temps. C’est une vieille histoire qui dépasse largement les champs de la Chalosse, les palombières des pignadas, et qu dépasse même les plus considérables figures des protecteurs des oiseaux. En matière d’extinction d’espèces, ces derniers savent pertinemment qu’il y a d’autres combats à mener, peut-être moins médiatiques. Que les moineaux de nos villes sont en train de disparaître. Que les hirondelles n’annoncent plus nos printemps. Que les insecticides et les changements de vie sont bien plus mortels pour les oiseaux que les chasses héritées du temps des pauvres gens, ceux qui n’avaient justement pas le droit de chasser ou n’avaient pas de fusil. Or, dans ces campagnes, dans ces endroits que les villes ignorent de plus en plus, des êtres demeurent. C’est grâce à eux qu’il existe encore des haies et des sentiers. Des fermes que l’on n’appelle pas encore exploitations. C’est une population, elle, en véritable déclin et menacée  l’extinction. Ce sont ces vies minuscules, ces héritiers des chasseurs cueilleurs, ces cultures invisibles qui veulent se réunir. Qui disent sans le savoir ce que découvrit un professeur de philosophie, devenu anthropologue, qui débuta sa carrière à Mont-de-Marsan au lycée Victor-Duruy. Il s’appelait Claude Lévi-Strauss. Il eut véritablement l’intuition que toutes les cultures, même celles de ceux que l’on nommait indigènes et que l’on méprisait, avaient la même force et la même dignité que les cultures dominantes. Et qu’il fallait, pour qu’un pays existe, qu’il n’oublie jamais le maillage étroit des cités restreintes. Soit celles que l’on entend éradiquer aujourd’hui, sous le grand couvert de la modernité. 


YVES HARTÉ
Sud Ouest 1er octobre 2016